Sine Propulsio Admiratio

        Puis-je vous imposer mon radotage puriste sur les treuils, tractés et ultra-motorisations pas si légères ? Mes pauvres oreilles en sont meutries, mon nez rebutte l’odeur floue de la gazoline et c’est compliqué. C’est sûr qu’il y a du plaisir à en retirer puisqu’il y en a qui aiment cela; je les respecte et les admire. On m’a même conseillé de ne pas m’en approcher car ce serait addictif. On n’avait pas besoin de me prévenir. Il y a du charme au ski nautique, à « buzzer » le calme rivage de l’océan Atmosphérique, à farauder en pirouettes avec une richesse de propulsion en réserve, à décoller sans égard à la direction du vent...Mais allez-vous convaincre un navigateur de voilier de le motoriser pour filer comme un courseur ? Il y a justement une aberration dans une pareille argumentation : celle de la finalité. Certains bifurquent parce qu’ils manquent d’ « air time ». En auront-ils assez ? Ils auront à faire face au sevrage de toute façon avec le climat qu’on a. Ils évoluent plus rapidement dans un sens mais la sagesse devrait suivre et ce n’est pas ce que je constate à tout coup. La possibilité de manoeuvres périlleuses augmente, à mon humble avis.

de Mec Fly

        Mais à la fin, le fin du fin du plaisir que je recherche est de planer proprement dit et ceci n’arrive que lorsque la propulsion est absente. J’ai choisi cette discipline non pas pour sa rigueur, mais pour son intimité avec la nature. La natation dans une flaque d’huile irridescente de hors bord, ce n’est pas mon fort. S’hydrater par intraveineuse au lieu de boire, ça marche. Mais avez-vous oublié l’ineffable goût de l’eau? Oui, le goût, les sens comme l’ouie fine, l’odorat à la recherche d’arômes, le flair, le tact sans la vibration mécanique sur la peau. Dois-je expliquer l’évidence ? La carlingue de planeur, où toute cette tendance se propulse ultimement, c’est coincé un peu. Le contact du vent sur les joues, je ne peux m’en passer comme cela.

        Et la sécurité, là-dedans ? Je n’en ai qu’une petite idée : utiliser des méthodologies éprouvées. Elles ont toutes leurs failles et il faut les connaître. Personnellement, je ne réussis pas à me perfectionner assez en cours de mécanique à combustion interne. Si je ne suis pas fiable à ce point de vue, je me dis que la chaîne n’a que la force de son plus faible maillon. J’ai le don des surprises avec ces machins. Ils m’ont trop souvent calé dans la face au moment inopportun. Généralement une niaiserie, mais rien n’allait plus tant qu’on n’ouvrait pas le capot pour la fixer. J’aime quand même un peu, mais pas assez, la mécanique. Actuellement, je vole avec un minimum d’outillage et tiens à un minimum de flanchage. Zéro flanchage. Des trajectoires sans alternative de terrain de secours en cas de panne, c’est du pilotage de brousse. Dois-je taire mes surprises d’avoir été si souvent, et dans la brousse sans le savoir, et dans un attroupement captif de personnes, et témoin d’acrobaties radicales, sans retour advenant une syncope propulsive ? « Sine propulsio admiratio » que je traduis librement et poliment : Mon admiration plane.

        Aussi, j’ajouterais de toujours garder une attitude d’aviation. C’est quoi ça ? Sécurité d’abord ! Je n’écris pas pour des pilotes d’essai, je ne suis qu’un amateur. Je vole par plaisir, par pur plaisir. Je ne voyage rien, ni personne dans un but commercial. Si je prends des précautions pour mes vols, elles ne doivent sûrement pas être moins, mais plus strictes, dans les conditions propulsées. Les complexités à gaz ne m’apportent rien de plus à ma portée pour me concentrer sur le vent, fendre l’air, pour planer; j’ai donc choisi de m’en abstenir.

        Et les risques de décollage en montagne, sont-ils comparables à ceux des méthodes propulsées ? Probablement, mais sous réserve car je n’ai aucune expertise sur ces méthodes. On peut si facilement biaiser la discussion. Moins de composantes, moins de risques ? Moins de composantes, plus vibrant est l’art ; ça, j’en suis sûr. En tout art, c’est ainsi. Les flons-flons sont accessoires par rapport à la substance de l’émotion à transmettre ou plutôt à ressentir. La perception peut facilement être obstruée par une complexité étrangère à sa finalité. Je désire palper le ciel avec mon corps, pas avec une machine. Alléger mon aile, l’affiner est l’évolution qui m’intéresse. Chaque once m’obsède plus que le superflu que j’ai balancé par-dessus bord. J’en jubile de n’être peut-être pas ultra ou super, mais assez léger pour planer.

        Le ciel est grand pour tous mes compagnons de toutes sortes, à plume, à dacron, à vapeur et à réaction. Justement, avec ceux à réaction, on s’arrange bien pour des menaces l’un à l’autre. Autant on ne va pas jouer dans leur cour, autant ils ne viennent pas parader dans nos terrains de jeux. S’il fallait...

        Je désire conserver toutes mes amitiés avec les propulsés qui m’entourent fréquemment. Je souhaite que nos rencontres resteront sereines car le but de ces écrits n’est pas de juger leur choix mais d’intensifier la sécurité dans notre petite communauté. Nous pouvons tous collaborer et apprendre les uns des autres. Il ne faut pas se vexer de voir présenter le libre pur comme modèle de sécurité absolu. Loin de là, cela reste très dangereux et j’ai des doutes sur tout et mon obsession de sécurité persiste. Mon vol n’est pas plus précis que ma plume, toute disposée à rectifier.


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