Corrections

        « Tu voles comme un dieu, mais tu décolles à pied ». Ainsi parlait RascarCapac à un pilote de vol libre. Comment dire à un ami qu’en le voyant décoller, on a vu s’entrouvrir les pages du livre tibétain ? « Comme un pied » voulait dire Rascar, cassant son français comme un rigolo. J’ai grandi dans un nid où l’on pouvait se parler franchement tout en apprivoisant autant les techniques de vol que les techniques d’échange d’informations. Ainsi, j’ai pu voir décoller et atterrir des pilotes avec une perfection qui ne tenait pas de la chance mais de l’apprentissage. Ce sont ceux qui, s’adaptant aux turbulences des disparités culturelles, planant les relations humaines, profitent des conseils et des observations. Telle étape de l’approche, telle priorité, telle attitude, crainte ou présomption, tout se critique, se digère et se corrige, même la façon de le dire,,, avec respect. Le tact est toujours de mise car les susceptibilités sont parfois délicates à réchapper. On ne m’a pas toujours apprécié du premier coup. Mais, après son os passé, un vieux pilote est déjà revenu me remercier sincèrement. Ça, c’est de l’amitié.

Mec Fly au Nunatak

        Rien dire ? Considérez cette anecdote racontée par un pilote réputé pour son énorme expérience : il se prépare à courir pour défoncer le mur d’ascendance d’une fameuse falaise hawaïenne car il a estimé le vent assez léger ( 10 mph ) pour cette méthode à laquelle il est plus habitué. C’est alors qu’un pilote local lui signifie qu’il est le deuxième à effectuer cette technique à cet endroit. Il lui offre aussi une assistance au câble mais elle est déclinée. Débalancé par les rotors pendant sa course, il se fait retourner et atterrit tant bien que mal en plein sur le décollage. Le pilote local lui dit, par après, que le premier décollage, qu’il avait déjà vu avec cette même technique, s’était terminé par un crash. « Pourquoi ne pas me l’avoir dit ? » lui a-t-il demandé. « Tu avais l’air de savoir ce que tu faisais » répondit-il. Une réputation, ça peut nuire...

        Préférable, tout compte fait, de parler, au moment opportun, constructif, avec tact, avec le ton approprié, compatissant, pas trop direct. Si les corrections sont mal reçues, peut-être corriger le style de correction et ajouter des fleurs. Glapissez, zinzinulez ou cacabez, mais, de grâce, n’abandonnez pas la communication pour des vétilles. Suscitez-la. Quand vous avez ressenti une bizarrerie dans vos propres manoeuvres, inutile de vous cacher. Prenez les devants, non pas pour affronter des reproches, mais pour cueillir les commentaires utiles. Si la nervosité pousse certains à des écarts de politesse, une réponse impolie de plus peut juste dégénérer en plus de nervosité et moins de sécurité. Regagner la confiance, même convertir un ennemi en ami, constitue un défi qui vaut bien des exploits de libre. Nous pouvons tous progresser et cela mieux ensemble. Il y a toujours une façon d’apprivoiser le plus farouche. Je comprends que cela puisse prendre du temps, mais on ne peut rester avec une solution sans la partager. Si l’harmonie ne règne pas au sol, on ne la retrouvera pas plus au ciel.

        Si c’est juste pour baver, prétendre ou se montrer meilleur, d’accord, taisez-vous. Une ambiance sereine, légère, ça se construit avec des vraies relations, et non pas par une ignorance mutuelle artificielle ou du mépris. Il est bon de planer avant, pendant et après un vol et ne rien gaspiller en chicane stérile. L’indice de sécurité se dégrade rapidement dans une mauvaise ambiance. Il est inutile de blâmer l’incorrigible vent. Si vous réussissez à faire planer une aile, vous pouvez, de même faire planer les bons mots.


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