Obstacles |
Un des meilleurs pilotes de notre club, un jour, est allé voir un de nos meilleurs instructeurs pour faire replier le parachute de secours de son deltaplane. Cela comme tout bon pilote non négligent. Je dis un de nos meilleurs malgré qu’une flagosse de celui-ci ait été publiée dans le Survol sans grande précaution pour son identité à peine voilée en décrivant les lieux et l’aile assez exactement pour que tous ses proches le reconnaissent. (Dangereux de voir fléchir les rapports d’accident si la confidentialité est galvaudée.) Ceci fut mortifiant pour lui, car l’erreur psychologique avait été avouée lors du rapport d’accident qui devait être confidentiel. Une telle mortification est toujours dure à assumer mais elle comporte un côté positif dont il faut savoir profiter. De même, il faut savoir qu’un aspect positif comporte du négatif. Pas une sinécure... Je redis un des meilleurs pilotes car il a su survivre à une situation qui en aurait dérouté plusieurs. Il est temps de lui remettre son bon coup. Le point n’est pas qu’il faille glorifier la banalité de la nécessité de replier son parachute régulièrement. Je vise un tout autre niveau actuellement.
Alors, il décolle avec son chiffon bien frais plié et voilà donc un vol d’enfer qui commence. Car, dès la mise en charge, le velcro refermant la poche du parachute cède. Et le fameux spaghetti de cordes de se répandre sur la barre de contrôle. Quel instinct, force physique, préparation mentale, implacabilité lui a permis de tenir la barre d’une main pendant que l’autre jouait un macramé inédit? Une « sled » extrême...
Ce qui me frappe ici est le côté sombre qui guette tout dispositif qui a été conçu pour la sécurité. J’inclus particulièrement les chroniques et écrits de mon genre sur le sujet. Il faut savoir s’en méfier. Et, s’ils sont évidemment salvateurs, il faut connaître leurs côtés dévastateurs potentiels. L’expérience n’a rien de tel pour éprouver tous ces dispositifs et seule une attitude implacable de survie en vient, on ne sait pas toujours comment, à bout. Et encore. Bien des leçons pour notre vie ne se donnent que dans le pire. Ce sont les plus précieuses.
Où est la négligence qui a justifié les écrits que je me suis imposés à moi ainsi qu’aux quelques lecteurs qui m’ont suivi jusqu’ici? Ici aucune. ( N’oubliez cependant pas de tester l’étanchéité de la poche de parachute en faisant un statique robuste.) C’est tout le contraire de la négligence que de faire replier son parachute par un expert. Eh bien, soyez sur vos gardes même avec vos gardes. Combattre la négligence chez moi, chez les autres, ne sera jamais suffisant.
Dans mon club, on a voulu me nommer responsable de la sécurité. Je n’ai jamais accepté autre titre que conseiller en sécurité. Je me demande si la sécurité totale peut exister vraiment. Chacun est, à mon avis, responsable et créateur de sa propre sécurité. Qu’on ait profité de mes dénonciations de négligences criantes serait pour moi une joie. Mais pas sans savoir qu’on ne s’en suffira pas. La sécurité est incurable, en vol libre ou ailleurs. Elle ne doit pas être négligée et doit être soignée sans cesse.
Pour paraphraser le danger d’un dispositif de sécurité, évoquons enfin un bel après-midi au bord de la mer, ponctué de deux amerrissages. Témoignons en passant l’élégance des ricochets de la sellette sur l’eau avec les pieds du pilote bien hauts. Heureusement, les mains sont hautes et font que l’aile devance amplement le pilote quand son naseau fait pif à l’eau. Ainsi, prises d’air des caisson en premier, la voile flotte mieux. Et affalée loin devant, le dangereux emmêlement dans les suspentes est réduit. Mais voilà que le dossier hi-tech conçu pour prévenir les conséquences d’impact devient un ennemi. Il flotte tant qu’il force le bec du pilote à l’eau. Son casque a peine à émerger. Les efforts supplémentaires pour réussir à prendre de l’air retarde le simple dégagement de boucles de la sellette et virent au débat. Déjà les suspentes se prennent autour d’un bras. Par bonheur, une équipe de sauvetage improvisée emprunte un zodiac et arrive à la rescousse pour tirer le pilote d’un sale pétrin. Toute cette complication aurait pu être évitée si le pilote s’était sans hésitation éjecté avant de toucher la portion liquide de la planète. L’autre pilote acrobate, un hardi loopeur, avait opté pour l’éjection sans autre problème que le long séchage de crinoline. Il y a donc de surprenantes cascades d’événements qui mènent à des leçons glaciales qui profiteront, nous l’espérons, à d’attentifs lecteurs.