Conte FLaQuiste Vols Captifs par DucK KcuD

8. Libre d'être libre

        Elvis Capac est en train de s’affairer à faire le ménage de l’habitacle d’Ômen qui a été assez secoué lors de l’atterrissage. Il remarque un curieux insecte que son balai est sur le point de sortir de la poussière sous la console centrale; mais la sonnerie du téléphone le distrait de sa tâche. C’est la belle ébouriffée qui requiert son aide.

        Chemin faisant vers la maison, il a une pensée pour Zond. Elvis l’a connu quand ils travaillaient tous deux pour Téra. Elvis s’occupait principalement de l’éducation des enfants. Mais cela lui permettait aussi de s’occuper de technologie de l’information. Il avait alors été le coach d’une nouvelle recrue de l’équipe de robotique. Zond était un jeune prometteur avec qui il s’entendait très bien. Elvis lui avait proposé de considérer la programmation comme un enseignement à la machine alors que Zond avait plutôt l’approche de séries de prières à faire réciter par les robots. Bien qu’astreint à développer de la machinerie agricole robotisée, Zond avait aussi des projets de microrobotiques pour polliniser les cultures. Qu’est-il devenu, se demandait Elvis au retour à l’habitacle d’Ômen ?

        Alors, au lieu de reprendre le balai, Elvis s’assoit et regarde du coin de l’œil le tas de poussière. Et si cet insecte était un drone de Zond ? C’est bien le cas, finit par conclure Elvis sans déranger l’appareil qui semble partiellement endommagé. C’est donc dire que Rascar a dû le transporter à son insu quand il a quitté la vallée des Sécures. La bestiole se serait enfilée dans son harnais. Bien que les ailes du drone se soient désarticulées, toutes leurs conversations ont pu être épiées pendant leur voyage alors que la bestiole avait pu ramper au beau milieu de la place. Rascar n’arrêtait pas de l’implorer de l’aider à aller chercher son amoureuse. Elvis lui disait sans cesse qu’il n’était pas question pour lui de retourner dans cette vallée, que ses affaires de cœur le regardaient.

        Quel phénomène que ce Zond, réfléchit Elvis ! Il admirait le type de subterfuge dont lui-même est maître. L’élève dépasserait le maître. Consécration alors et de l’élève et du maître. Enfin depuis la mort d’Ïkô, Rascar ne l’a plus achalé sur les Sécures. Rascar a déjà témoigné de sa formidable résilience au deuil d’Ïkô.

        Il a déjà raconté devant ce micro son enthousiasme d’avoir repris le deltaplane et de ses implications dans les clubs de la région. Dans la communauté des Sécures, le vol libre est la quintessence de l’insécurité. Cela a été provoqué par le décès en parapente d’un des piliers de la colonie. Ce deuil a marqué profondément tous ses amis qui ont façonné les bases de la communauté comme elle a évolué avec cette excessive obsession pour la sécurité.

        Outre le plus grand respect pour la vie, chez les Sécures, le calme bucolique est un principe de vie primordial. Pourtant, la fondatrice en exprimait tout le contraire dans sa vie frénétique bien qu’elle y aspirait. À l’époque, elle accompagnait son mari pour la pêche à son ranch dans une vallée recluse des Rocheuses. Son intérêt étant restreint pour la patience et l’ésotérisme de la pêche, elle s’adonnait avec acharnement à la culture d’un potager.

        Ce couple opulent n’avait pas le sens du repos. Qui la plus grosse truite, qui la plus grosse citrouille… En compétition contre soi-même, en surperformance toujours, le contentement est difficile à atteindre. Enfin, c’est là dans cette vallée qu’a germé l’idée d’outillages agricoles informatisés. Autour d’une truite à la citrouille, Téra avait proposé une telle aide à sa compagne ravie. Alors, dans les entrepôts de la piste d’atterrissage se sont installés des laboratoires de robotique super sophistiqués. Zond y fut engagé comme expert.

        Des champs et des champs se faisaient labourer, semer et désherber par de multiples robots. La fondatrice veillait à ce que la culture soit purement biologique. C’est Zond qui a spécialement développé les micros-appareils pollinisateurs. C’était devenu un peu loufoque d’un point de vue écologique. La production de nourriture surpassait les besoins du ranch et de son équipe. Mais un potentiel de vente mondiale de cette technologie stimulait sans contrainte cette recherche. À moyen terme la vallée n’aura plus de terrain à défricher, les robots progressant avec une efficacité prodigieuse.

        Mais un jour, Zond fut victime d’un accident quand une sarcleuse défectueuse en réparation lui sarclât les testicules. Cela prendra un autre accident, celui de la fille de la fondatrice, pour que cesse la robotisation à outrance de la vallée. Les labos furent réduits mais continuèrent de servir encore à des projets spéciaux de Téra.

        Ce dernier, afin de parer à de tels accidents, a alors ressorti un projet alternatif élucubré par sa défunte femme, celui d’une main-d’œuvre idéale spécialisée en botanique qui fut recrutée par internet. Les candidats furent choisis selon une liste de critères à sa convenance mais interprétés à la façon du Téraciel qui avait commencé à prendre le contrôle de l’empire Téra.

        Avant sa mort, la femme de Téra avait établi une fondation dont il est difficile d’interpréter la vocation tant une grande variété de critères philosophiques se chevauchaient. C’est d’abord ceci, d’abord cela… Mais au moins, c’est plein de bonnes intentions. Les ressources financières restent inépuisables, même à ce jour. Deux catégories d’habitants composent donc la communauté qu’on pourrait classer en botanos haut de gamme et technos haut de gamme. La première vit éparpillée dans la vallée et la seconde dans le village des robots. L’expérience du silo d’apesanteur fut d’abord testée sur les botanos; cela permit d’instaurer la méditation télépathique de l’angélus laquelle fut tant appréciée qu’il fut question de l’étendre à tous les technos. C’est là une des raisons, non la seule, qui a motivé Elvis, libre d’être libre, de quitter la place.

        Zond, lui, impliqué dans le fonctionnement de cet ordinateur, a réussi à déjouer certaines routines de son initiation et restreindre son lavage de cerveau. Cet eunuque a ainsi réussi à échapper à bien des contraintes. Il aurait possiblement pris le contrôle total s’il n’avait pas été distrait de cette ambition. C’est qu’il est tombé en amour avec Ïkô la diva. Amour platonique va sans dire.

        C’est la voix de la diva qui l’enchantait au-dessus de tout. Qu’aurait-il fait pour l’entendre, toujours, toujours! D’ailleurs, il ne s’est pas gêné et, en fait, l’écoutait continuellement. Des micros partout, dans ses bijoux, par ci, par là et ses insectes à puces lui fournissaient sans arrêt un son de qualité dans ses permanents écouteurs. Quand elle était coite, des enregistrements prenaient la relève.

        Zond aidait la diva à préparer ses concerts, étant serviable et anticipatif. Ïkô, qui appréciait ce jeune homme réservé, ne se doutait même pas de cet amour platonique. Elle croyait parfois qu’il lisait dans ses pensées.

        Zond n’était même pas jaloux de l’intrus Rascar qui la courtisait. Du moment qu’il pouvait entendre sa voix, Zond était comblé. Mais Rascar s’est échappé du silo et a fui. Non seulement cela entache la sécurité de l’isolement voulu de la communauté, mais d’après les conversations épiées dans Ômen, il y a projet d’enlèvement d’Ïkô. Alors là, Zond n’est plus d’accord.

        C’est alors qu’il avait traité par ordinateur les enregistrements de voix et de chants de la diva. Il avait ensuite forgé la conversation avec Rascar pour lui faire accroire qu’elle mourrait.

       

        Mais Elvis a tout décrypté. Il est tenté de riposter mais il craint ces lieux risqués où couve peut-être un nouveau Téraciel ou une semblable engeance imprévisible. Doit-il informer son frère qui n’aura de direction que la voie qui a du cœur ? Ou, ne simplement pas lui en parler et le priver ainsi d’un amour dont il semble libéré. « Pas facile de cacher la vérité à mon frère, rumine Elvis, ça c’est mon dilemme. »

        Rascar aurait un dilemme plus intraitable. Ou bien il déciderait de s’incorporer à la secte d’esclaves Sécures. Ou bien il convaincrait Ïkô de le suivre. Mais en plus d’avoir le cerveau lavé, elle ne survivrait probablement pas au voyage en hélicoptère que Rascar a maintes fois proposé pour l’enlever. Elle n’est tout simplement plus libre d’être libre, du moins à un certain niveau. Elle est néanmoins bien vivante. Et elle chante encore mais, depuis qu’elle a pressenti que Rascar ne songe plus revenir, elle lyre d’un sombre ennui à faire frissonner horriblement Zond. Lui aussi mâchonne un dilemme, le sien découlant de son mensonge.

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